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QUI EST RESPONSABLE DE LA GOUVERNANCE DU PRODUIT D’ASSURANCE ? Paru sous notre signature dans la livraison de juillet aout 2016 de La Tribune de l’Assurance

Dans Assurance le 2016-10-03 14:00:58

La Gouvernance attachée à l’opération d’assurance et subsidiairement aux Produits d’assurance trouve ses fondements dans une approche-risque initiée par Solvabilité 2 (ci-après « S2 »). Elle se prolonge et s’affine, notamment aux termes de la directive relative à l’Intermédiation d’assurance réinterprétée en  Distribution  d’assurance (ci-après « DDA »). Cette communauté de fondements entre les deux normes complémentaires laissait, à elle-seule, présager une harmonie parfaite dans le jeu de la partition « Gouvernance ». Est-ce bien le cas ?

 De par le nombre et la diversité des acteurs-parties à la Distribution d’assurance, la complexification de ses modalités et la sophistication-mutation des Produits qu’elle présente, cette fonction pose des problèmes de partage de responsabilité sensibles ; cela d’autant que la problématique de responsabilité est consubstantielle à l’impératif de Gouvernance attaché à toute opération financière.

 Or, il se trouve que les règles S2 de délégation-externalisation pourvoient à un partage de responsabilité strict entre délégant et délégataire –en ce compris, le « délégataire-distributeur »- qui semble  heurter, dans certains cas, celui prévu par DDA. Il parait donc, utile d’essayer de cerner les contours de cette difficulté, en l’état de la législation.

 Toutefois, ayant l’intuition que l’on ne pourra faire l’économie d’un véritable travail de clarification, il y aura sans doute lieu de s’interroger sur l’apport des futurs Actes délégués (DDA) que les Normes de conduite préparatoires (ci-après les « Normes ») laissent présumer.

 Nous nous proposons par conséquent,

 de réexaminer l’objet, les fondements et les fonctions de la Gouvernance-Produit instituée par DDA et de vérifier si ce texte donne bien lieu à un régime de gouvernance articulé à celui de S2; (Partie I.)

 

  • de déterminer la responsabilité des parties à l’opération de Distribution d’assurance en questionnant les divergences qui se font jour entre S2 et DDA; (Partie II.) et

 

  • d’identifier les moyens de rendre la DDA pleinement opérationnelle au regard du partage effectif de la Responsabilité ; analysant pour cela la portée des Normes, et suggérant quelque amendement susceptible d’inspirer un régime cohérent de responsabilité pour la Distribution d’assurance (Partie III.)     

 

 

  1. La Gouvernance-Produit instituée par DDA

 Qu’observons-nous ? Au Chapitre « Système de Gouvernance », l’article L354-1 C. assur. (transposition S2). dispose ainsi : Les entreprises d'assurance et de réassurance mettent en place un système de Gouvernance

 DDA, art. 25, prévoit des Dispositions relatives à la Surveillance et la Gouvernance du Produit (ci-après, les « Dispositions »). Le Champ de ladite gouvernance est restreint à l’objet de DDA, néanmoins la Gouvernance-Produit y est conçue largement. Elles renferment, les fonctions-Conception et Distribution d’assurance,  interprétées extensivement. La Gouvernance-Produit a donc bien le même objet aux termes de S2 et de DDA.

 En outre, la Gouvernance trouve un Fondement commun dans les deux textes. Pour s’en assurer, il suffit de se reporter au Rapport Final (6 avril 2016) - Normes préparatoires aux Dispositions -Introduction -Annexe I :

 1.8 les Dispositions devraient être considérées au premier chef comme une mise en œuvre de l’objectif fondamental de la supervision d’assurance, notamment la protection des assurés et bénéficiaires, telle que définie par S2. 

 1.9. En raison de leur objet et objectifs, les Dispositions organisationnelles, telles que présentées dans les normes de conduite ont un lien substantiel avec le système de gouvernance de S2 requérant des entreprises une gestion saine et prudente des affaires dans une approche basée sur le Risque incluant un système approprié de gestion du risque. Les dispositions organisationnelles qui tendent à assurer une conception correcte des produits d’assurance s’inscrivent dans le système de Gouvernance de l’entreprise d’assurance….   

 1.10. Dans ce contexte, DDA fournira une réglementation détaillée qui prendra en compte les profils de transparence et de protection du consommateur en ce qui concerne à la fois la Conception du produit et sa Distribution.  Sur cette base, les Dispositions relatives à la Surveillance et la Gouvernance-Produit trouvent leur fondement dans S2, de même que dans DDA, cette dernière spécifiant les exigences du point de vue de la protection du Consommateur et ajoutant des exigences pour les distributeurs qui ne sont pas dans le champ de Solvabilité 2.

 Ainsi, avons-nous vérifié, tant en ce qui concerne la Conception que la Distribution des Produits -objets de la Gouvernance- que les Fondements des Dispositions sont communs.

 En ce qui concerne les Fonctions visées par S2, l’art. L354 al 2 prévoit que : Ce système de gouvernance comprend les fonctions-clés de gestion des risques, vérification de la conformité, audit interne et, actuarielle.

 La fonction Distribution, portée par DDA,  ne fait pas formellement partie des fonctions-clés S2. Cependant, on ne peut en déduire que, la Gouvernance-Produit s’applique à des fonctions disjointes. En effet, plusieurs considérations s’y opposent:

 . Dans DDA, la fonction Distribution, englobe la « distribution » au sens étroit, mais aussi, la conception, elle disséminée dans trois fonctions-clés : Gestion des risques, Vérification de la Conformité et Actuarielle.    

 . Le système de Gouvernance-Produit ne se limite pas aux fonctions-clés. De fait, il n’y aurait aucune légitimité à des standards de gouvernance non-homogènes.

 .La Gouvernance-Produit s’inscrit résolument dans la fonctions-clé de « Vérification de la Conformité ».

 . Enfin, raisonnant à rebours ; la sensibilité des questions de Gouvernance- Distribution montre qu’il est impossible de  dissocier la Gouvernance-Produit de la Conception-Distribution-Produit.

 Par conséquent, la Gouvernance-Produit (S2 et DDA) ayant le même Objet, les mêmes Fondements, et s’appliquant aux mêmes Fonctions, son régime de responsabilité devrait être unitaire. Qu’en est-il en réalité ?

 

  1. Déterminer les responsabilités au sein de la Fonction-Distribution

 S2, art. L354-1 al. 1er C. assur. requiert le partage des responsabilités :….Ce système de gouvernance repose sur une séparation claire des responsabilités… De plus, l’art. L 354-3 al. 1er pose le principe de la responsabilité de l’entreprise Délégante: « Les entreprises d'assurance et de réassurance conservent l'entière responsabilité du respect des obligations qui leur incombent lorsqu'elles recourent à l'externalisation des fonctions ou des activités d'assurance ou de réassurance » ; « l’externalisation » : art. L310-3 C. assur. englobant l’externalisation des fonctions Conception et  Distribution.

 DDA, art. 25 al. 1 et 6, prévoit implicitement les modalités de délégation d’obligations, entre d’une part, les Entreprises d’assurance et d’autre part, les Distributeurs Intermédiaires et Salariés dédiés à cette fonction. L’article 25 al.1er et 6 implicitement, et les Normes 3 et 15 explicitement, déterminent la responsabilité des Distributeurs, selon qu’ils exercent les Fonctions de Conception et/ou « Distribution », au sens étroit de Présentation. Au risque de simplifier -pour comparer avec S2 (responsabilité de la Délégante) ce partage désigne l’entité Délégataire de la Conception et/ou Distribution comme ultimement responsable de la Gouvernance-Produit.

 Ainsi, S2 et DDA mettant en œuvre un principe de responsabilité inversé, (S2-Délégant v. DDA-Délégataire), il est logique que leur application conjointe, dans le cas d’une compagnie d’assurance qui délègue-externalise (S2)  à un Distributeur-Intermédiaire la fonction Conception et/ou Distribution(DDA) se résolve en une  contradiction

 Le Rapport final, Ann.1.10 indique que le champ de DDA se distingue de celui de S2, mais ne le démontre pas. Il eut été logique que DDA prévoie une Gouvernance-Produit davantage centrée sur le Consommateur, ce n’est pas le cas. En réalité, il est ici, infiniment difficile de dissocier l’emprise respective de S2 et DDA sur la Gouvernance-Produit : cela ne parait effectif, ni en théorie (champ respectif des fonctions Gouvernance et Conception-Distribution), ni en pratique (délégation par une entreprise d’assurance de la Conception et/ou Distribution).

 Pourtant, il n’est pas concevable qu’une même opération, attraie un régime contradictoire de responsabilité.

 

  1. Existe-il des moyens de rendre la DDA opérationnelle à ce titre ?

 Pour harmonieuse qu’elle soit au plan de l’approche « Risque & Gouvernance » commune, l’articulation entre S2 et DDA, n’en pose donc, pas moins question.

 Reste donc, à apprécier si les Normes préparatoires, en l’état, peuvent constituer des bases appropriées à des Actes délégués qui harmoniseraient le régime de responsabilité au titre de la Gouvernance-Produit.

 Sans préjuger de la réponse à cette question, on peut d’ores et déjà avancer, qu’au regard de la combinaison de:

 

  • la contradiction de fond relevée plus haut, en ce qui concerne le régime de responsabilité en cas de délégation S2 (Assureur/Distributeur) et le régime de responsabilité (Distributeurs) DDA ; et

 

  • la hauteur et de l’imbrication des enjeux -hors-délégation- de responsabilité, entre Distributeurs (Concepteurs/non-Concepteurs) qui semble résulter de la lecture de DDA,

 cette tâche d’harmonisation apparaît ambitieuse !

 Néanmoins, peut-être l’étude concrète des attributions de responsabilités opérées par DDA, entre Distributeurs, nous fournira-t-elle des pistes de réflexion plus prometteuses ?

 L’article 25 al 1er prévoit que les Entreprises d’assurance et Intermédiaires (les Distributeurs, au sens large de DDA) maintiennent, appliquent et révisent le Processus de validation. La Norme 1 prévoit des Dispositions à cet effet, et la Norme 3  spécifie que c’est la structure dirigeante du Distributeur (Concepteur et/ou Distributeur-non-Concepteur) qui endosse la responsabilité ultime dudit Processus et l’approuve….

 L’article 25 al 3 garantit l’adéquation de la Stratégie de distribution au Marché-cible. La Norme 10 y ajoute, notamment, le choix par le Concepteur, du Canal de distribution et du Distributeur. L’accent mis par la Norme sur le rôle-clé du Concepteur dans le suivi-Produit est prudent, toutefois, cette précaution devra être conjuguée avec un partage équilibré de responsabilité avec les Distributeurs-non-Concepteurs, dont la typologie tend à se diversifier rapidement.

 L’article 25 al 4 requiert du Concepteur qu’il comprenne et examine régulièrement le Produit qu’elle propose, au regard des besoins du Marché; La Norme 3 exigeant du Management de l’entreprise qu’il endosse la responsabilité ultime de la Supervision et Gouvernance-Produit. Une disposition dans l’Acte délégué correspondant devrait permettre d’affiner les contours et imputations précises de la responsabilité encourue à ce titre.

 L’article 25 al 5 oblige le Concepteur à fournir au Distributeur-non-Concepteur « tous les Renseignements utiles sur le Produit et le Processus, Marché-cible compris. La Norme 10 impose au Concepteur qu’il s’assure en continu de la compréhension par le Distributeur-non-Concepteur du Produit et du Marché-cible ; cette Norme faisant peser sur le Concepteur, la responsabilité de l’orientation des actions menées par le Distributeur-non-Concepteur.

 L’article 25 al 6 fait obligation au Distributeur-non-Concepteur de se procurer les Renseignements visés al.5, selon un dispositif qu’il lui incombe de mettre en place ; alors qu’il ignore ce que sont ces renseignements. Il devient ainsi difficile de déterminer sur qui pèse la responsabilité de la transmission des Renseignements. La Norme 13 n’éclaire pas ce point, elle sollicite du Distributeur-non-Concepteur la mise en place de Dispositions semblables à celles qui s’imposent aux Concepteurs, mais centrées sur le seul Produit. Or, ces Dispositions doivent être « proportionnée », aux Risques (qu’il incombait au Concepteur d’évaluer), à la nature, échelle, et complexité de ses propres affaires. A ce titre, le Distributeur-non-Concepteur se trouve être juge et partie. Ce serait le rôle d’Actes délégués de prévoir, pour les Concepteurs et Distributeurs-non-Concepteurs, des standards de conformité réellement adaptés au Produit, au Marché-cible et au mode de Conception/Distribution.

 La Norme 14 assigne au Distributeur-non-Concepteur un Objectif davantage centré sur la Distribution-Produit que celui que la Norme 2 assigne au Concepteur. Comme pour le Concepteur (Norme 2), la gestion des Conflits d’intérêts fait partie des obligations du Distributeur ; ledit conflit pouvant résulter de la prédéfinition par le Distributeur-non-Concepteur du Marché-cible, en fonction de considérations étrangères à l’intérêt du Consommateur. La Norme 14 (1.40)  concède qu’au titre du principe de Proportionnalité les Dispositions prises par le Distributeur, pourraient être modulées selon sa propre interprétation. Un Acte délégué, devrait requérir du Distributeur-non-Concepteur, qu’il renonce à tout projet pour lequel il n’est pas en mesure de prendre des Dispositions adéquates.

 La Norme 14 « Commentaire », affirme encore que les Normes n’ont pas pour objet-effet de transférer la responsabilité des Concepteurs aux Distributeurs, mais d’établir des devoirs distincts pour les Distributeurs. En Fait, si l’on met en réserve l’effet précité (Norme 14) de fixer au Concepteur un Objectif plus exclusif en matière de Conception-Produit, on observe ce qui suit :

 La Norme 15 attribue au Distributeur-non-Concepteur, la responsabilité ultime d’établir, mettre en œuvre, réviser et maintenir conforme les Dispositions de distribution de Produits, et la Norme 3 attribue au Concepteur la responsabilité de ces mêmes actions, mais portant sur les Dispositions de surveillance et de gouvernance des Produits (On retient au passage que la Surveillance et  Gouvernance des Produits impartie au Concepteur englobe bien la Distribution, sans toutefois pouvoir établir la ligne de partage de manière sure).

 Les Normes 16 et 17 ajoutent que le Distributeur-non Concepteur a la responsabilité d’obtenir du Concepteur tous les renseignements utiles au Produit, au Processus d’approbation du Produit, au Marché-cible, aux Risques, aux coûts, et causes de conflits  d’intérêts.

 Enfin, la Norme 18 indique que la stratégie du Distributeur ne doit pas contredire celle du Concepteur. Cela montre que le Distributeur doit quérir auprès du Concepteur des Renseignements afin de bien traiter les Consommateurs. Le Distributeur est aussi mis dans l’obligation d’assimiler et gérer ces informations pour permettre au Concepteur d’exercer une Surveillance-Produit. Ainsi, le Distributeur qui utilise ces Renseignements assume-t-il des responsabilités, qui pour une part, incombent au Concepteur...  

 Par conséquent, le fait que le Distributeur-non-Concepteur ait des devoirs distincts (Norme 14) n’est pas douteux. En revanche, la difficulté de déterminer si et comment s’effectuent certains transferts de responsabilité, ne permet pas un partage bien défini de la responsabilité entre Concepteur et Distributeur-non-Concepteur. Force est de constater que l’imbrication entre les deux fonctions est telle qu’il sera difficile de régler ce partage aux termes d’un Acte délégué.

Ainsi, constate-t-on que le champ de la Distribution d’assurance (Conception & Distribution), apanage de la DDA, donne lieu à des partages subtils de responsabilité en son sein, entre Concepteur et Distributeur-non Concepteur, selon des modalités qui ne sont pas entièrement claires, à ce jour.

 En outre, ce champ de la Distribution est traversé par les règles fixées par S2 au titre de l’externalisation. Or, ces règles arrêtent le principe de responsabilité de l’entreprise Délégante lorsque l’on se trouve en présence d’une entreprise d’assurance délégant la Conception et/ou la Distribution-Produit au sens de DDA. Alors que Cette dernière retient dans le même temps, le principe général de la responsabilité du Concepteur et/ou Distributeur-Délégataire.

 La circonstance que, par construction, la Gouvernance-Produit imprègne les Fonctions opérationnelles de Conception et Distribution au point de s’en rendre indissociable, nous paraît ainsi s’opposer à une résolution de cette contradiction, sans redéfinition de la ligne de partage fixée respectivement par les directives en présence.

 Mais, le travail ne fait que commencer, loin de nous de préjuger de l’acuité avec laquelle ces questions opérationnelles sensibles seront appréhendées.